L’édito de la semaine, le 19 Novembre 2023

Commentaire de l’Evangile du Jour (19 Novembre 2023, 33ème dimanche du Temps Ordinaire) de l’Abbé Thierry Delumeau :

« À celui qui a, on donnera encore, et il sera dans l’abondance ; mais celui qui n’a rien se verra enlever même ce qu’il a. » (Mt 25,29) dit Jésus dans l’Evangile de ce dimanche. La réponse de Jésus peut surprendre, laissant poindre, au premier abord, une certaine injustice. De fait, comment peut-il donner à celui qui a déjà et enlever le peu que possède celui qui n’a quasiment rien ? Bien sûr, on ne peut pas en rester à ce premier constat, qui est déjà biaisé, parce qu’il suppose, d’une part, que Dieu devrait quelque chose aux hommes et, d’autre part, qu’il viendrait récompenser certains et punir les autres. Or, dans les deux cas, c’est faux.

Tout d’abord, Dieu ne doit rien à personne, car personne ne mérite en tant que telle quelque chose de Dieu, puisque l’humanité s’est livrée au péché et qu’elle s’est donc coupée de Dieu. Elle ne peut pas être en situation de réclamer quoi que ce soit et encore moins de faire valoir un droit quelconque de mérite qui appelle une récompense. Ce n’est que pure justice, que réclamer à celui qui s’est mal comporté ce qui doit revenir en droit à celui qui est lésé. Or, là, c’est Dieu qui est lésé. C’est lui qui avait accordé à l’homme son amour gratuitement, mais que celui-ci a repoussé. Ainsi, si Dieu accorde à l’homme un bienfait, ce n’est pas qu’il le doit en justice. Il fait plutôt resplendir sa miséricorde et l’abondance de son amour gratuit. Il pardonne et veut élever l’homme à une béatitude qu’il ne mérite nullement, mais, que dans sa bienveillance, il veut donner à l’homme. Loin de rendre Dieu injuste, au contraire son action lui donne une gloire qui dépasse ce que l’homme peut même imaginer.

Ensuite, le tri entre ceux qui reçoivent et ceux qui ont déjà, avec ceux qui ne reçoivent pas et qui même se font enlever ce qu’ils ont, traduit non pas le caractère injuste de Dieu, mais tout simplement la capacité de l’homme à se mettre plus ou moins en disposition d’accueillir la bonté et la miséricorde de Dieu. Dans le cas présent, nous avons trois serviteurs à qui Dieu confie ses biens, et comme le dit saint Matthieu dans son Evangile : « à chacun selon ses capacités. » (Mt 25,15). A l’un, sa capacité lui permet d’accueillir cinq talents, un autre seulement deux talents, et un troisième, sa capacité se résume à un seul talent. Là, on peut se poser la question : comment se fait-il que tous n’ont pas la même capacité ? Serait-ce Dieu qui aurait déterminé les capacités des uns et des autres, ou à l’inverse, ne serait-ce pas plutôt l’homme lui-même par ses actes qui se rendrait plus ou moins capable de recevoir ? Effectivement, il en est bien ainsi. C’est l’homme qui est la mesure de la capacité de recevoir de Dieu. Dieu, être infini et d’une générosité sans limite pour partager son bonheur avec l’homme et l’ange, rencontre nombre d’obstacles qui se dressent devant la bonté de son coeur. C’est un peu comme un papa et une maman qui ne cessent de vouloir donner tout le bonheur de leur amour à leurs enfants, mais qui se montrent peu attentionnés et délicats devant un tel amour. N’est-ce pas ce que les hommes montrent lorsqu’ils ne cessent de repousser Dieu de leur coeur, le rejetant comme n’existant pas et, ce qui va ensemble, réduire le prochain comme un ennemi ou encore comme un centre d’intérêt pour ses affaires ? L’homme qui rejette Dieu conduit inéluctablement à faire du monde un enfer. Saint Jean-Paul II avait cette formule concise pour résumer ce que l’idéologie athée a fait du coeur de l’homme : « L’homme sans Dieu, c’est l’enfer pour l’homme. » 

Aussi, lorsque Jésus récompense ceux qui ont mis leurs talents au service de l’amour de Dieu, car le talent est en finalité de l’amour reçu et vécu, il donne le vrai bonheur auquel tout coeur humain aspire : être aimé pour aimer, c’est ce sens qu’il faut comprendre de ce que Jésus dit aux deux premières personnes de la parabole : « Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur. » (Mt 25,21.23). On est donc loin d’une simple récompense liée à des mérites supposés. On est dans le partage d’un amour infini qui ne cesse de frapper à la porte des coeurs, bien qu’assoiffés d’absolu, mais souvent rendus malades par le péché, jetant un vrai voile assombrissant tout élan du coeur. En ce sens, Jésus disait : « Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin du médecin, mais les malades. » (Mt 9,12 ; Mc 2,17 ; Lc 5,31). 

Précisément, il est le médecin des âmes, ce que les saints, et le plus éminent d’entre eux, la Vierge Marie, ont bien saisi : Dieu vient à la rencontre de l’homme malade pour lui prodiguer les soins de la miséricorde, seul remède efficace pour lui permettre de goutter aux joies de l’éternité. Mais encore faut-il qu’il accueille dans son coeur la lumière de l’appel du Maître, pour que ce dernier puisse lui dire : « Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur. » (Mt 25,21.23). 

Découvrez aussi...