L’édito de la semaine, le 19 Février 2023

Commentaire de l’Evangile du Jour (19 Février 2023 7ème dimanche du Temps Ordinaire) de l’Abbé Thierry Delumeau :

« Eh bien ! moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux. » (Mt 5,44-45). Quelle révolution !!! Déjà, la règle de conduite morale des hébreux « Œil pour œil, et dent pour dent » (Mt 5,38) était un énorme progrès puisqu’avant, la riposte pouvait tout simplement être fortement disproportionnée au mal commis. Là,  avec la demande de Jésus, nous avons quelque chose de profondément nouveau et inédit. Aimer jusqu’à ses ennemis est une telle révolution qu’elle semble tout bonnement impensable avant même d’être faisable. Cela paraît tellement gros une telle règle de conduite, que naturellement l’homme ne peut tout simplement pas la vivre s’il n’est habité de la grâce de Dieu. Car, de fait, nous avons le coeur de l’Evangile, puisqu’avant même que nous puissions vivre cette règle de conduite morale, Jésus l’a vécue dans sa Croix. Effectivement, il n’est pas mort pour sauver des amis, mais bien des ennemis. Le péché de l’homme l’a fait ennemi de Dieu, puisque le péché est une désobéissance à Dieu, de la créature envers son Créateur, un rejet de la part de l’homme de l’amour infini de Dieu pour sa créature, au prétexte que celle-ci ait la prétention de se passer de lui pour être son propre dieu (cf Gn 3,5). Rien de l’homme ne peut à lui seul cicatriser cette offense, ce malheur, que lui, par sa faute, a commis. Et l’on ne peut pas reprocher à Adam et Eve d’avoir péché et que c’est à cause d’eux que nous sommes dans cette galère, puisque nous-mêmes, malgré la grâce du baptême qui nous a lavés du péché originel et qui nous donne ainsi la grâce de ne plus commettre de péché, nous ne cessons de pécher. Saint Jean ne dit-il pas dans sa première lettre : « Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous égarons nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous. » (1 Jn 1,8) ? Ainsi, sans la grâce de Dieu, que Jésus nous a méritée sur le bois de la Croix, nous ne pourrions pas vivre le commandement du Seigneur d’aimer ses ennemis, car il s’agit bien d’un commandement. De fait, «  En effet, si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Et si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? » (Jn 5,46-47). On ne peut pas dire non plus que c’est un simple conseil ou une vulgaire  recommandation de la part de Jésus. Ce n’est pas une option que le chrétien pourrait choisir de vivre ou pas, comme quelque chose de facultatif, car l’amour des ennemis n’est pas une réalité périphérique du mystère du salut, il en constitue clairement l’essence même, puisqu’il est au coeur même de ce que Jésus a vécu sur la Croix, dans son corps et son âme. Sachant que le disciple est invité à vivre expressément ce que Dieu vit, et il le rappelle précisément dans cet Evangile « Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait. » (Mt 5,48), nous ne pouvons donc pas faire l’économie de l’amour des ennemis. Or, qui sont mes ennemis ? Sont-ils seulement ceux qui en veulent à ma vie (ceux-là sont plutôt rares pour ne pas dire inexistants)? Ceux qui me causent du tort ? Ceux qui me détestent ? Ceux qui me veulent du mal et se jouent de moi ? Ne sont-ils pas  aussi ceux qui ne pensent pas comme moi et qui n’ont pas les mêmes idées ? Ceux qui ne sont pas du même milieu que moi ? Ceux que je ne fréquente pas ou qui me sont antipathiques ou du moins pas sympathiques ? Ne sont-ils pas ceux qui me sont indifférents ou tout simplement ceux pour qui je n’ai aucune amitié et  pour qui je ne veux pas en créer ? Cela peut sembler peut-être un peu fort, mais quand je veux aimer quelqu’un, souvent, pour ne pas dire toujours, je veux aimer ceux qui me sont chers, qui comptent dans ma vie. Mais pour ceux qui sont éloignés de ma vie, et que je côtoie, est-ce que je veux les aimer aussi ? Cela nous conduit à aborder le dernier élément de ce que Jésus nous demande de vivre : C’est quoi aimer ses ennemis ? C’est quoi aimer ? Jésus donnera dans l’Evangile une définition précise : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » (Jn 15,13). Aimer, c’est donner sa vie pour ceux qu’on aime, pour ceux que l’on décide donc d’aimer. Autrement dit, aimer c’est donner sa vie, ce n’est pas avoir des sentiments, c’est agir avec sa volonté, vouloir se donner, vouloir donner le bien à l’autre, vouloir se dépenser pour l’autre, vouloir renoncer à soi pour l’autre. Ainsi, l’amour, de toute évidence, est exigeant, car il conduit à dépasser le simple sentiment, le ressenti ou encore l’affection naturelle qui nous poussent vers l’autre pour aller jusqu’à se donner, renoncer à soi au profit de l’autre, à se dépenser pour l’autre, à s’engager pour que l’autre soit aimé. On le voit, aimer de la sorte, n’est pas une mince affaire et Jésus donne un commandement de grande exigence, qui implique nécessairement le pardon et la miséricorde en plus de la justice. La Croix est donc, de toute évidence, la clé de cette règle de conduite morale, qui, sans elle, ne pourrait tout simplement relever que de l’impossible. Si Jésus exige cela de ses disciples, c’est qu’il leur donne la grâce de le vivre. Et cette grâce ne peut être que vécue que si nous-mêmes nous voulons vivre ce commandement, qui devient en même temps la vérification de notre propre foi. Ainsi, montre-moi ton amour envers ton prochain et je te dirai quelle est ta foi. On le voit, la foi n’est donc pas seulement une notion, une adhésion intellectuelle, une reconnaissance de l’existence de Dieu, là, les démons croient aussi en l’existence de Dieu. Non, la foi implique nécessairement un acte de volonté de vivre ce que Dieu demande de vivre, certes avec l’appui de sa grâce, mais bien une vraie recherche de vivre l’exigence des commandements du Seigneur. Les saints, à commencer par la Vierge Marie, n’ont cessé de caler leur volonté sur celle de Dieu. Telle fut leur règle de vie, car Jésus, lui-même, a dit dans l’Evangile : « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre. » (Jn 4,34).

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