L’édito de la semaine, le 14 Janvier 2024

Commentaire de l’Evangile du Jour (14 Janvier 2024, 2ème dimanche du Temps Ordinaire) de l’Abbé Thierry Delumeau :

« Que cherchez-vous ? » (Jn 1,38) demande Jésus aux deux disciples (André et Jean) de Jean le Baptiste qui le suivaient. Eux répondent : « Où demeures-tu ? » (Jn 1,38). La question de Jésus aux deux disciples amène à une autre question de leur part. Ils veulent connaître qui est Jésus, et pour le connaître ils veulent voir où il demeure. Le lieu de sa demeure va donner à connaître celui dont Jean le Baptiste désigne comme : « L’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. » (Jn 1,29). Très bien, qu’à cela ne tienne, Jésus répond : « Venez, et vous verrez. » (Jn 1,39). « Ils allèrent donc, ils virent où il demeurait, et ils restèrent auprès de lui ce jour-là. » (Jn 1,39). 

Un premier constat, c’est que l’on ne peut connaître Jésus si l’on n’accepte pas de vivre avec lui. On ne peut devenir son disciple si l’on ne décide pas de le suivre et donc demeurer avec lui. Dans notre monde d’aujourd’hui, où tout semble aller très vite et où la volonté est d’obtenir un rendement à une vitesse effrénée, Jésus nous ramène à l’essentiel de la vie : l’amour, qui s’inscrit dans la durée. Saint Jean, dans sa première lettre dit : « Celui qui aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour. » (1Jn 4,7-8). Il est donc illusoire de connaître quelqu’un si l’on ne commence pas par l’aimer. Aimer c’est connaître et donc connaître c’est aimer. Aimer n’est pas simplement éprouver des sentiments, comme trop souvent le monde semble le considérer : je t’aime car j’éprouve des sentiments pour toi. Je n’éprouve plus de sentiments pour toi, donc je ne t’aime plus. Evidemment, devant une telle considération, toute personne à aimer devient un objet qui a de l’égard pour moi à l’aune de ce que je ressens pour elle. On ne s’embarrasse pas de prendre le temps d’aimer : lorsque l’on éprouve du sentiment, tout est beau mais lorsque l’on n’en éprouve plus, tout se termine. Or, Jésus donne une autre définition de l’amour : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » (Jn 15,13). Aimer, c’est donner et recevoir. On n’est plus dans le sentiment, ce que, d’ailleurs, l’on ne contrôle pas, on est dans le don de soi, et là, cela donne un autre poids à l’amour et une autre configuration : donner et recevoir, implique de sortir de moi, aller à la rencontre de l’autre et donc demeurer avec lui et donc ainsi le connaître. Le sentiment, au contraire, m’enferme sur moi et me conduit à aimer l’autre pour moi, pour satisfaire ma quête de plénitude, comme une recherche de soi, tout l’inverse du véritable amour qui conduit à une certaine plénitude, non pas acquise à mon profit, mais plutôt reçue par les échanges de don et réception de don entre les uns et les autres. 

Le second constat, c’est que Jésus ne s’impose pas, il laisse libre : « Venez, et vous verrez. » (Jn 1,39). Il me laisse prendre l’initiative de le suivre à son invitation pour que je puisse le connaître et donc l’aimer. L’amour ne peut être forcé et imposé. Il implique toujours de la part de l’un et de l’autre un choix. C’est, d’ailleurs, le grand malentendu que vivent nos contemporains avec Dieu : Pourquoi Dieu laisse prospérer guerres, catastrophes en tout genre dans le monde ? Ou encore, si Dieu existait, il n’y aurait pas tous ces malheurs dans le monde ! Or, comment peut-on reprocher à Dieu tous ces malheurs et en même temps penser qu’il doit me laisser vivre ma vie à mon gré, sans m’imposer ses commandements ? C’est pleinement contradictoire et pourtant cela ne saute plus aux yeux. On ne peut pas demander à quelqu’un de me sauver de mes déboires sans prendre la résolution de le laisser agir dans ma vie pour qu’il puisse accomplir la tâche que je lui demande. C’est comme si je demandais à un peintre de venir repeindre ma chambre, tout en lui demandant de ne pas déplacer mes meubles.  Cela est inconcevable, mais quand l’homme vit replié sur lui-même avec l’amour comme sentiment, sans s’ouvrir à l’autre dans un vrai don de soi, son esprit se voit forcément atrophié à ses intérêts et à son petit monde.

Ces deux constats nous amènent à une conclusion : Dieu ne peut rien faire pour moi sans que ma volonté s’engage. Je ne peux donc pas dire que j’aime si je ne vais pas à la rencontre de l’autre. Je ne peux pas dire que je veux vivre en chrétien, si Dieu n’occupe que la place que je veux bien lui donner, réduite à sa portion congrue. Etre son disciple est exigeant : « Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande. » (Jn 15,14) Or, « Mon commandement, le voici : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. » (Jn 15,12). Le « comme je vous ai aimés », c’est la Croix, c’est aimer jusqu’à donner sa vie. On comprend que les deux disciples de Jean le Baptiste, ayant le désir de devenir disciples de Jésus, ne pouvaient faire autre chose que de suivre ce que Jésus leur a répondu, tant l’exigence est grande : « Venez, et vous verrez. » (Jn 1,39). 

La Vierge Marie et tous les saints au cours des siècles ont emprunté ce chemin de devenir disciple du Christ. Pour certains, ce fut au prix de verser leur sang, mais pour tous, ce fut au prix du renoncement d’eux-mêmes afin que Jésus fasse sa demeure en eux.   

Découvrez aussi...