Solennité de la Fête-Dieu

Dimanche de la fête du Corps et du Sang du Seigneur Jésus, appelé Fête-Dieu) de l’Abbé Thierry Delumeau :

« Jésus prit les cinq pains et les deux poissons » (Lc 9,16). Avec ces cinq pains et ces deux poissons, Jésus va nourrir une foule nombreuse de 5000 hommes. De plus, après avoir rassasié cette foule, on va ramasser douze paniers remplis de pains. Ce grand miracle de la multiplication des pains, annonce un mystère encore plus insaisissable pour notre intelligence. Effectivement, ce miracle prépare le mystère.

Il y a cinq pains, car Jésus, sur la Croix, va être marqué des cinq plaies : celles des deux mains et des deux pieds, ainsi que celle provoquée par le glaive du soldat, d’où sortira l’eau et le sang, le mystère même de l’Eglise, la sainte épouse du Christ. Ces cinq plaies sont la traduction du don de sa vie, prenant tous les péchés des hommes sur lui, afin de les ensevelir dans sa propre mort. Ainsi, non seulement l’homme est justifié, rendu juste devant le Père, puisque Jésus prend tout sur lui, mais aussi, dans sa grande miséricorde, il va jusqu’à lui donner la vie éternelle, autrement dit il va jusqu’à lui partager son bonheur éternel. Il se fait donc pain pour nourrir les hommes. La signification de ces cinq pains qui renvoie aux cinq plaies du crucifié donne sens à la profondeur de ce grand mystère ébauché par la multiplication des pains. Aussi, il n’y a pas que les cinq pains, il y a également les deux poissons, lesquels signifient les deux natures du Christ : Il est Dieu et homme à la fois. Si Jésus n’est qu’un homme, il ne peut rien faire, et sûrement pas être le Sauveur. S’il n’est que Dieu, bien qu’il puisse sauver l’homme de bien des manières, il ne peut en revanche, sans cette humanité assumée, porter le poids des péchés et des souffrances endurées par les hommes depuis la chute d’Adam et Eve pour les engloutir dans sa propre mort. Or, Dieu ne peut se satisfaire du salut des hommes sans la volonté de leur manifester comment vivre pour accueillir le salut. De fait, le mystère de la rédemption n’est pas seulement efficace pour le salut, mais il est aussi un modèle de conduite pour l’homme. Autrement dit, l’homme est invité à prendre pour modèle Jésus et à le suivre dans sa vie d’humilité, d’offrande et de renoncement pour épouser la volonté du Père, comme lui-même le dira le soir de l’agonie : « Père, que cette coupe passe loin de moi, cependant non pas ma volonté mais la tienne. » (Mt 26,39 ; Lc 22,42) Ainsi, le Fils éternel du Père, en prenant une nature humaine âme-corps, lui qui est né du sein de la Vierge Marie, rejoindra l’homme dans sa déchéance pour le relever par sa puissance divine, comme le montra saint Paul dans son épître aux Philippiens : « Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers, et que toute langue proclame : « Jésus Christ est Seigneur » à la gloire de Dieu le Père. » (Phil 2, 5-11). Ainsi, les cinq pains et les deux poissons annoncent Jésus, le Dieu fait homme, s’abaissant jusque dans la mort sur la Croix, après avoir endossé tout le poids du péché, pour sauver l’homme des affres de l’enfer. Il le ramène comme un bon berger dans le sein de son Eglise, sa sainte épouse, celle qui repose sur les douze colonnes que sont les apôtres, laquelle est le nouvel Israël aux douze tribus. On devine ainsi le sens des douze paniers, qui renvoie à la réalité de la sainte Eglise.

Tout cela nous permet d’aborder enfin le mystère, celui que nous fêtons particulièrement ce dimanche, que ce grand miracle a préparé : le mystère de l’Eucharistie, le mystère d’un Dieu fait homme qui va jusqu’à se faire nourriture pour tous, afin que tous vivent de sa vie. L’impensable se réalise : il va transformer la réalité de l’être du pain et celui du vin, la substance, ce qui est, en celle de son corps et de son sang, tout en gardant les apparences, le goût, la saveur de ce que sont le pain et le vin. Ainsi, la réalité de l’être du pain et du vin a laissé sa place à celle du corps et du sang du Christ, mystère que l’on ne peut discerner que par la foi, car rien n’est visible, rien que les sens ne peuvent appréhender. Ce mystère porte le nom de transsubstantiation, ce qui veut dire changement de l’être d’une chose en une autre chose. Alors, la question peut se poser : comment est-ce possible, puisque le Christ a livré son corps et versé son sang une fois pour toute en un seul sacrifice, qui, à lui seul, suffit pour sauver le monde, comme le dit l’épître aux hébreux ? Comme la transsubstantiation implique, à chaque fois qu’elle opère, un sacrifice lorsque Jésus livre son corps est verse son sang, y aurait-il donc d’autre sacrifice que celui de la Croix ? Non, et cela est un deuxième mystère qui s’ajoute à celui de la transsubstantiation, celui d’un unique sacrifice qui se rend présent et actuel sur l’autel à chaque fois qu’est célébrée l’Eucharistie. Ainsi, la messe n’est pas un autre sacrifice mais bien le même sacrifice puisque le prêtre et la victime, tous les deux le Christ lui-même, sont identiquement les mêmes à la messe comme à la Croix, puisque le prêtre est bien Jésus (le prêtre, à la messe, dit bien : ceci est mon corps et non pas ceci est le corps du Christ) et la victime est bien le corps et le sang de Jésus opérés par le changement de la substance, de l’être du pain et du vin. Si Jésus l’a voulu ainsi, c’est pour au moins deux raisons principales. La première, c’est que nous puissions nous nourrir de sa vie ou encore le laisser vivre dans notre coeur. En ce sens, la nourriture opérée par la transsubstantiation est bien la meilleure des choses pour signifier que le Christ vit en nous. La seconde, c’est qu’il a voulu appliquer les mérites de sa passion pour que dans notre vie spirituelle nous puissions participer au mystère du salut. Jésus ne veut pas seulement nous sauver, mais il veut que nous puissions collaborer à son mystère en devenant des offrandes vivantes, en renonçant à nous-mêmes, à l’exemple du Christ pour l’engendrer en nous par la grâce.

Demandons à notre mère du ciel, la Vierge Marie, de nous aider à participer pleinement au mystère de l’Eucharistie, à chaque fois que nous avons la grâce de le vivre, afin que nous puissions être la miche de pain que le Christ enfourne dans le fourneau de sa miséricorde, cuit au four du renoncement et du don de sa vie, pour donner le trésor d’être habité par sa divine présence.

Découvrez aussi...