L’édito de la semaine, le 6 Mars 2022

Commentaire de l’Evangile du Jour (6 Mars 2022 1er dimanche de Carême) de l’Abbé Thierry Delumeau :

« Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentations, le diable s’éloigna de Jésus jusqu’au moment fixé. » (Lc 4,13). Jésus part au désert après avoir reçu le baptême dans le Jourdain par Jean le Baptiste. Il y reste 40 jours sans manger. Jésus est affaibli physiquement et c’est le moment idéal pour le diable de venir le tenter. Celui-ci va utiliser toutes les formes de tentation que les évangélistes résument à trois. Elles touchent le corps (l’activité biologique liée à la vie de l’homme), l’avoir (la possession des choses) et le pouvoir (avoir la mainmise sur les choses et les personnes, autrement dit se prendre pour Dieu). Toutes les trois ont quelque chose de redoutable. En effet, elles peuvent entraîner l’homme dans une privation de l’usage de sa liberté, en le rendant esclave. La conséquence en est l’éloignement de la vérité, par une intelligence dévoyée et l’absence de discernement du bien du mal par une volonté soumise au dictat de la sensibilité, n’étant plus éclairée par une intelligence en recherche de vérité. 

De fait, la première tentation concerne les besoins du corps, en l’occurrence pour Jésus très affaibli, la nourriture, après 40 jours de jeûne. Cela touche également tous les appétits de la vie, notamment la sexualité, qui peut entraîner l’homme dans un esclavage, dont il a du mal à s’en sortir. Il suffit de voir les ravages que la pornographie fait dans le monde de telle sorte qu’elle est l’un des commerces les plus lucratifs. La réponse de Jésus ne peut être que la nourriture de la parole de Dieu, la nourriture de l’âme : « Il est écrit : L’homme ne vit pas seulement de pain. »(Lc 4,4). Cette nourriture donne vie à l’âme, qui anime le corps et qui régule les appétits sensibles au service de la vie de la personne. Lorsque l’âme s’oublie, se néglige, les appétits sensibles prennent le dessus et conduisent l’homme à penser qu’il est heureux, qu’il n’existe que par la satisfaction de ses appétits. Ceux-là, d’ailleurs, exacerbent, nourrissent les deux autres tentations, même si la dernière (le pouvoir) est à proprement parler un dérèglement désordonné de l’âme.

La seconde tentation concerne l’avoir, la possession des choses. Le démon entraînant Jésus sur une haute montagne, lui montre tout ce qu’il prétend posséder et lui propose de lui donner tout cela en lui vendant son âme. Ce qui est tout de même un comble : la créature s’arroge la possession de la terre face au Créateur et lui propose de la lui donner en échange de quoi le Créateur adore cette simple créature. Il ne manque pas de culot. La réponse de Jésus rétablit la vérité des choses : « Il est écrit : C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, à lui seul tu rendras un culte. » (Lc 4,8). Cette deuxième tentation conduit l’homme par la possession des choses à vendre son âme. Tu veux posséder, fais allégeance au diable. Autrement dit, l’appétit de la vérité que recherche ton intelligence s’incline devant l’appétit des sens, de l’avoir, de la possession, donnant l’illusion que posséder rend heureux. Cela ne veut pas dire que vouloir posséder conduit obligatoirement à vendre son âme au diable, mais que la frénésie de la possession des biens conduit à en devenir esclave et donc adorateur du diable. Seul Jésus libère l’homme esclave de son péché.

La troisième tentation concerne le pouvoir. Vu que Jésus utilise la parole de Dieu pour contrer ses tentations, le démon va donc citer les Ecritures, mais pour en détourner le sens : « Si tu es Fils de Dieu, d’ici jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi, à ses anges, l’ordre de te garder ; et encore : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. » (Lc 4,9-11). La réponse de Jésus rétablira la vérité du sens de la parole de Dieu : « Il est dit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. » (Lc 4,12). On ne peut pas utiliser la parole de Dieu pour lui faire dire l’opposé de ce qu’elle veut dire : Dieu n’est pas au pouvoir des hommes. Je ne peux pas user d’une parole de Dieu pour la mettre à mon profit. Autrement dit, je ne peux pas détourner le pouvoir divin et me faire mon propre dieu. Cette troisième tentation a de grandes répercussions dans notre vie. Vivre comme si Dieu n’existait pas, ou encore prétendre qu’il est tellement miséricordieux, que je peux bien me passer de suivre ses commandements, car il ne peut pas ne pas me sauver, c’est mettre Dieu à l’épreuve. Mettre Dieu de côté dans notre vie, pour vivre comme si nous étions notre propre dieu, c’est mettre le Seigneur Dieu à l’épreuve. On voit ainsi l’ampleur que cela peut revêtir dans la vie de chaque jour : choisir ou pas de mettre Dieu au coeur de notre vie. Dieu aime l’homme et il l’appelle à vivre l’amour avec lui. Il ne peut pas se résoudre à ce que l’homme puisse vivre comme si cet amour n’avait pas d’importance. En ce sens, cette troisième tentation est probablement la plus redoutable car elle peut conduire à un orgueil tel que l’homme peut se fermer à la miséricorde de Dieu.

A ces trois tentations, Jésus propose dans l’Evangile du mercredi des Cendres trois moyens qui permettent de lutter contre elles. Contre la première, le jeûne, pour nous rappeler que le corps ne peut se nourrir au détriment de l’âme. Contre la seconde, l’aumône, le partage, pour nous rappeler que l’avoir et la possession des biens ne peuvent être l’unique but de la quête de l’homme. Il est appelé à partager avec ses frères en cherchant Dieu – « Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » (Mt 25,40) – le vrai Bien, l’unique qui le conduit à la jouissance de ce grand bien qu’est l’éternité. Contre la troisième, la prière, pour nous rappeler que c’est bien Dieu que nous sommes invités à mettre au coeur de notre vie. Lui seul éclaire notre intelligence et donne force à notre volonté. 

Les religieux, par leurs voeux, mais aussi les saints et la Vierge Marie, vivent et ont vécu les trois conseils évangéliques : la chasteté contre la première tentation, la pauvreté contre la seconde et l’obéissance contre la troisième. Nous sommes invités à faire de notre carême une montée vers Pâques avec les moyens que Jésus nous donne dans l’Evangile. 

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