L’édito de la semaine, le 27 Mars 2022

Commentaire de l’Evangile du Jour (27 Mars 2022, 4ème dimanche de Carême) de l’Abbé Thierry Delumeau :

« Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. Il fallait festoyer et se réjouir ; car ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé ! » (Lc 15,31-32) dit le Père à son fils ainé. La parabole dite de l’enfant prodigue nous donne un enseignement non seulement sur l’attitude du fils prodigue, mais aussi sur celle du fils ainé, ainsi que celle du père des deux fils. Les deux fils, le cadet pécheur, s’éloignant du père pour un temps, dilapidant tout l’héritage en jouissant de la vie, ainsi que le fils ainé, resté à la maison, toujours au service du père, mais au coeur endurci et suffisant, livrent, tous les deux, leur manquement face à l’exigence d’amour du Père. Nous pouvons nous reconnaître tantôt dans l’un, tantôt dans l’autre. Le père, dans son infinie patience, tire ses deux fils vers l’exigence de l’amour et du pardon, seule réalité qui a de l’importance aux yeux du père. 

Pour le fils cadet, jouir de la vie, vivre loin de toute exigence morale, brûler l’instant présent semble la panacée du bonheur. Il va faire la douloureuse expérience que toute vie loin du véritable amour du père, est un drame, au point de se dire : « Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Traite-moi comme l’un de tes ouvriers. » (Lc 15,18-19). Le retour à la maison devient pour lui l’unique but, même s’il doit être le dernier des ouvriers, tant vivre l’amour de ce père aimant est irremplaçable à son bonheur. L’expérience du repentir, de la demande de pardon et de la réception de celui-ci, sont un immense bonheur, car le pardon accueilli vivifie profondément l’âme. Il y a là un caractère de résurrection. Cette expérience est vécue par tous ceux qui ont vécu une grande conversion de vie, au point que la rencontre avec le Christ a tout changé de manière radicale. Les prostitués, les publicains qui suivent Jésus se reconnaissent en ce fils cadet.

Le fils ainé est sûr de lui. Il ne peut comprendre que l’on puisse accueillir son frère qu’il ne reconnait plus comme tel, s’adressant à son père en lui disant : « ton fils que voilà est revenu après avoir dévoré ton bien avec des prostituées… » (Lc 15,30). Ce n’est plus « mon frère », mais « ton fils ». L’amour n’habite pas ce coeur aigri. Il revendique à son père ses mérites et non pas la joie d’être habité par l’amour de son père : « Il y a tant d’années que je suis à ton service sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. » (Lc 15,29). Autrement dit, « tu ne vois pas que je mérite toute ta reconnaissante, moi qui suis à ton service ». Dans cette parabole, ce sont, bien sûr, les pharisiens, les sadducéens, les grands prêtres, les scribes et les anciens, ceux qui pensent qu’ils sont des hommes biens, dont Dieu doit être fier, et qui ne cessent de mépriser, les publicains, prostitués et le peuple inculte à leur yeux. L’orgueil habite leur coeur, car ils ne regardent pas, comme le fils cadet repenti, l’amour miséricordieux du père, mais leur nombril, en faisant valoir ce qui leur revient.

Le père ne fait pas de différence entre ses deux fils. Il les aime d’un amour inconditionnel. Il ne peut se résigner à la perte de son fils cadet. Il l’attend, scrutant au loin son retour de telle sorte que l’apercevant il est « saisi de compassion ; il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. » (Lc 15,20). Il ne pouvait s’opposer au choix de son fils qui réclamait sa part d’héritage pour vivre loin de lui. L’amour du père demande à être accueilli librement. Son fils ainé est jaloux du veau gras que le père offre pour festoyer le retour de son frère. C’est un acte insupportable à ses yeux. Le père va lui rappeler son amour pour lui : « Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. Il fallait festoyer et se réjouir ; car ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé ! » (Lc 15,31-32). Le Père invite son ainé à regarder son frère comme un frère : « ton frère » alors qu’il ne le reconnaissait plus comme tel. Il l’appelle à l’aimer comme lui-même l’aime. Il ne peut concevoir que son ainé soit dans sa maison sans être habité du même amour. C’est comme s’il lui disait : Mais mon enfant, comment ne peux-tu pas voir l’amour qui habite mon coeur ? Comment ne peux-tu pas voir que cet amour qui habite mon coeur est l’essentiel de ce que nous vivons ? Comment peux-tu recroqueviller ton coeur et ne pas l’ouvrir à celui qui s’est perdu, qui est ton frère ? Comment ne peux-tu pas partager ma grande joie de retrouver mon fils et ton frère en bonne santé, revenu à la maison non seulement physiquement mais aussi de coeur ? Comment, toi qui partage tout de moi, te laisses-tu entraîner à refuser la miséricorde, alors que mon coeur n’est que miséricorde ? N’éprouves-tu pas la miséricorde que je donne à ton frère comme à toi ? L’enseignement du père miséricordieux est le trait de fond de cette parabole. C’est le coeur de Jésus, brulant d’amour pour les hommes, les appelant à vivre sa miséricorde.

La Vierge Marie et les saints de tous les temps n’ont cessé de vivre l’attitude du père miséricordieux, cherchant à chaque instant de leur vie, à vivre de sa grâce pour mettre en oeuvre la miséricorde de Dieu. C’est l’appel que Jésus nous donne en ce dimanche. 

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