L’édito de la semaine, le 20 Février 2022

Commentaire de l’Evangile du Jour (20 Février 2022 7ème dimanche du Temps Ordinaire) de l’Abbé Thierry Delumeau :

« Aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour. Alors votre récompense sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, car lui, il est bon pour les ingrats et les méchants. » (Lc 6,35) dit Jésus. C’est une vraie révolution copernicienne. De fait, avant, c’était la loi du Talion « oeil pour oeil, dent pour dent » qui était en vigueur. C’était déjà un vrai progrès, puisque la riposte de l’attaqué était proportionnelle à l’attaque de l’attaquant. Avec l’Evangile, nous entrons dans une nouvelle dimension, où la loi de la charité est en quelque sorte à son apogée. Rien ne peut plus justifier de ne pas aimer son prochain, y compris son ennemi, car Jésus lui-même a premièrement aimé jusqu’à donner sa vie pour ses ennemis, ce que nous étions par le péché, et deuxièmement nous donne la grâce de vivre de son amour. Tous nous sommes pécheurs. Depuis le péché d’Adam et Eve, l’humanité est entrée en rébellion. Elle s’est coupée de l’amour de Dieu. La conséquence en fut immédiate : l’homme perdit l’amitié avec Dieu et donc les dons que Dieu lui avait donnés, particulièrement l’immortalité, la connaissance infuse de Dieu, une humanité protégée des dangers de la vie et de l’inimitié. Le résultat est que l’homme connaît la mort, la souffrance, les rivalités de toutes sortes, jusqu’à éprouver de la haine pour son propre frère, bref, tout ce qui contrarie son bonheur, auquel il aspire et pour lequel il a été créé. D’ailleurs, quiconque fait l’expérience de la haine, du rejet de l’autre laisse dans son coeur de l’aigreur, de la colère ou de l’amertume. Tout autre est l’expérience de l’amour des ennemis, qui donne le sentiment de paix intérieure, du bonheur du détachement de sa personne, de la joie de se savoir aimé d’un Dieu qui ne peut pas ne pas aimer. Jésus en donnant ainsi sa vie sur la Croix par amour pour nous, nous donne la grâce de vivre de la Miséricorde divine, de son amour miséricordieux. Ce qui était impossible avant : d’aimer ses ennemis, le devient, car la grâce de Jésus nous est donnée pour le vivre. Cependant, ce qu’il faut bien comprendre, c’est que Jésus ne nous parle pas d’affection, d’empathie avec ceux qui sont nos ennemis. Il nous parle d’amour et même il commande d’aimer : « Aimez vos ennemis. » La nuance est très importante, car il ne s’agit pas de sentiment, de tout ce qui touche le sensible, l’émotion. Cela n’est pas pleinement l’amour. Ce qui en constitue le coeur, c’est la volonté. Aimer, c’est vouloir le bien de l’autre, c’est vouloir que l’autre soit autant aimé que soi, c’est vouloir que l’autre puisse aspirer au même bonheur que je le désire pour moi. L’amour a donc pour objet le bien et non pas la seule délectation ou plaisir que je peux en retirer. Réduire l’amour au sentiment, à l’émotion, conduit à ramener tout à soi, à ce qui me comble. Or l’amour est une sortie, un pas vers l’autre. Il s’exprime dans le don et l’accueil du don. Ainsi, on peut comprendre que dans une société où l’accent de l’amour se résume, pour beaucoup dans la pratique, à la recherche de l’amour qui comble, qui remplit le réservoir affectif, même si cela en tant que tel n’est pas un mal, conduit à une grande fragilité de l’engagement. En effet, l’amour ne rime plus dans ce cas-là dans l’engagement à rechercher le bien, mais plutôt à en profiter, même si c’est à plusieurs. De ce fait, aimer est un engagement à vouloir le bien et Jésus va jusqu’à en faire un commandement : « Je vous commande de vous aimer les uns les autres. » (Jn 13,34 ; 15,17). On peut commander la volonté, ce que l’on ne peut pas faire pour les sentiments. Dire à quelqu’un je ne t’aime plus parce que je ne ressens plus rien pour toi, c’est lui dire en quelque sorte que je ne t’ai jamais aimé autrement que pour ce tu m’as apporté comme bonheur. L’amour de sentiment peut donc vite se transformer en égoïsme, ce qui est un comble puisque l’amour est plutôt la générosité du don. Aussi, pousser jusqu’à l’extrême comme Jésus nous le dit en aimant nos ennemis, nous fait prendre conscience que l’amour devient un vrai don de soi, un engagement à rechercher le bien pour l’autre. La Croix en est la plus belle des preuves, l’acte le plus beau que Jésus ait fait sur terre, de telle sorte, que le chrétien y voit la source même de sa vie spirituelle, de sa vie chrétienne.

Les nombreux martyrs et saints, à commencer par la Vierge Marie, vivaient cette intensité du don d’amour, qui en était la raison même de leur vie sur terre, sans lequel cette présente vie n’aurait aucun sens. Aimer est la vocation du fidèle du Christ. Aimer ses ennemis en est l’expression la plus pure, tant elle est dépouillante et totalement dénuée d’intérêt. Jésus nous donne sa grâce pour le vivre et connaître le véritable bonheur, le seul vrai, d’aimer sans compter.

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